Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit – Corpus 2018

« Ce nouveau corpus d’œuvres de Laure Tixier revient sur l’histoire des colonies pénitentiaires agricoles et maritimes pour enfants et adolescents. Son titre est emprunté au poème de Jean Genet, Le Condamné à mort. Il l’écrit en 1942 alors qu’il est incarcéré à Fresnes pour vol. Son histoire et son expérience de la prison dès l’enfance constituent le premier socle d’un récit, un conte teinté d’une violence sourde. Un fil rouge tisse son parcours de la Petite Roquette (prison pour enfants à Paris), à la colonie pénitentiaire de Mettray en Touraine, puis à la prison de la Santé.
L’univers carcéral est un thème central dans la recherche plastique de Laure Tixier depuis plusieurs années. Une recherche qui débute à partir d’une observation des Prisons Imaginaires de Piranèse (Dolci Carceri – 2003/2005), et se poursuit par l’exploration des plans de prisons (Map with a view, géométrie de l’enfermement – 2014). Depuis 2018, elle se déploie à partir de trois colonies pénitentiaires pour mineurs, celle de Mettray, celle de Belle-Ile-en-Mer, et celle du Val Yèvre près de Bourges.

Un tas de galets blancs, dont certains comportent des mots gravés et dorés à la feuille d’or est disposé au sol. De mot en mot, le titre de l’exposition apparaît. Les galets blancs proviennent de Belle-Île-en-Mer. L’artiste s’est en effet intéressée à l’histoire de ce bagne insulaire pour enfants actif entre 1880 et 1977. Les colons, considérés comme des « petits vauriens indomptables » ont dû se soumettre à une discipline de fer visant à un redressement moral par le travail et l’éducation religieuse. Âgés de 8 à 20 ans, ils travaillaient quotidiennement dans les secteurs agricoles (cultures et élevage) et maritimes (matelotage, timonerie, voilerie, garniture, corderie, etc.). Les galets blancs font écho à une corvée spécifique réservée aux enfants et adolescents enfermés dans la colonie. Ils devaient descendre la falaise jusqu’à la plage, puis la remonter, chargés de sacs remplis de sable ou de galets. Laure Tixier contourne la violence de leur histoire. Son geste poétique et hospitalier, faisant aussi référence au Petit Poucet, recèle des traumatismes profonds. L’œuvre comporte aussi une dimension mémorielle pour à la fois mettre en lumière une histoire honteuse et réinjecter une part de dignité au sein d’une mémoire collective marquée par les maltraitances, l’humiliation et la soumission.
Laure Tixier traite de l’enfance et du pouvoir de l’imagination pour fabriquer des évasions symboliques. En 1934, le passage à tabac d’un enfant provoque une mutinerie des colons qui se révoltent et tentent de s’échapper à la nage. Les gardiens, les habitants et même les touristes rattrapent le groupe de jeunes fuyards. La tentative de fuite est relayée par la presse régionale et nationale. Jacques Prévert écrit un poème, La Chasse aux Enfants : « Au-dessus de l’île, on voit des oiseaux – Tout autour de l’île il a de l’eau. » Laure Tixier travaille alors à partir de cet évènement pour réaliser deux drapeaux : l’un présente la reproduction d’une carte postale montrant les jeunes colons en ligne saluant le drapeau français, l’autre arguant le cri de révolte « Brûlons nos châteaux de sable ». Les drapeaux traduisent deux réalités simultanées où les enfants, malgré la discipline et la répression, ne cessent de résister en manifestant un désir de liberté.
Les cordes (produites dans la colonie pénitentiaire par les enfants et vendues à toutes les prisons françaises assurant ainsi l’autonomie financière de la colonie) forment les lignes des dessins de l’île, du plan de la prison et de sa façade. Teintes à l’aide de plantes, elles adoptent les couleurs des fougères de la lande belleliloise. Le pouvoir de l’imaginaire engendre en ce sens des échappées, des stratégies de résistance vis-à-vis d’une condition insupportable.
Au fil de ce récit fragmenté, nous comprenons que les œuvres fonctionnent comme des pièges. Laure Tixier manipule des matériaux qui nous sont familiers (des tissus, des galets, des cordes). D’une manière intuitive, nous nous les approprions, ils semblent rassurants et inoffensifs. Pourtant, parce qu’ils sont intégrés à une histoire ou bien une réalité brutale, les matériaux sont déplacés dans leur sens ou leur fonction première. Ils installent une double lecture qui suscite un mouvement trouble qui bascule du réconfort à l’étouffement, de l’évasion à l’enfermement, de la survie à l’abandon. Avec une douceur largement trompeuse, l’artiste nous attrape et nous plonge dans un récit alimenté par la privation, la violence, la domination, l’empêchement et l’enfermement. Les œuvres qui reposent sur l’univers carcéral recèlent un ensemble de réflexions non seulement sur le contrôle des corps, les systèmes de surveillance et d’oppressions, mais aussi sur un état de résistance par l’imaginaire qui ne connaît ni murs ni frontières. »

Texte de Julie Crenn (extrait)

« This new corpus of work by Laure Tixier revisits the history of agricultural and maritime penal colonies for children and adolescents. Its title is borrowed from Jean Genet’s poem Le Condamné à mort (The Man Condemned to Death), written in 1942 while he was incarcerated in Fresnes for theft. His personal history and childhood experience with prison form the foundation of a narrative, a tale tinged with a muted violence. A red thread runs through his journey from La Petite Roquette (a children’s prison in Paris), to the Mettray Penal Colony in Touraine, and finally to La Santé Prison.

The prison universe has been a central theme in Laure Tixier’s artistic research for several years.

This research began with her observation of Piranesi’s Imaginary Prisons (Dolci Carceri – 2003/2005) and continued with the exploration of prison layouts (Map with a view, géométrie de l’enfermement – 2014). Since 2018, her work has expanded to focus on three juvenile penal colonies: Mettray, Belle-Île-en-Mer, and Val Yèvre near Bourges.

A pile of white pebbles, some engraved and gilded with gold leaf, is arranged on the floor. From word to word, the title of the exhibition emerges. The white pebbles are from Belle-Île-en-Mer. The artist became interested in the history of this island penal colony for children, active between 1880 and 1977. The young inmates, considered “unruly little delinquents,” were subjected to strict discipline aimed at moral rehabilitation through labor and religious education. Aged 8 to 20, they worked daily in agricultural (farming and livestock) and maritime sectors (sailmaking, rigging, ropework, etc.). The white pebbles reference a specific chore assigned to the children and adolescents imprisoned in the colony: they had to descend the cliff to the beach, then climb back up, carrying bags filled with sand or pebbles.

Laure Tixier subverts the violence of their history. Her poetic and hospitable gesture, also referencing Little Thumb (Le Petit Poucet), contains profound traumas. The work also carries a memorial dimension, both highlighting a shameful history and restoring a measure of dignity to a collective memory marked by abuse, humiliation, and submission.

Laure Tixier addresses childhood and the power of imagination to create symbolic escapes. In 1934, the beating of a child sparked a mutiny among the inmates, who rebelled and attempted to escape by swimming. Guards, locals, and even tourists caught the group of young escapees. The escape attempt was covered by both regional and national press. Jacques Prévert wrote a poem, La Chasse aux Enfants (The Hunt for Children): “Above the island, you see birds – All around the island, there is water.”

Laure Tixier works from this event to create two flags: one features the reproduction of a postcard showing the young inmates lined up, saluting the French flag, and the other bears the cry of rebellion, “Let’s Burn Our Sandcastles.” The flags represent two simultaneous realities where, despite the discipline and repression, the children never stopped manifesting a desire for freedom.

The ropes (produced in the penal colony by the children and sold to prisons throughout France, ensuring the colony’s financial autonomy) trace the lines of drawings of the island, the prison plan, and its façade. Dyed with plant-based pigments, they adopt the colors of the Belle-Île heath’s ferns. In this sense, the power of imagination engenders escapes, strategies of resistance against an unbearable condition.

As this fragmented narrative unfolds, we realize that the works function like traps. Laure Tixier manipulates materials that are familiar to us (fabrics, pebbles, ropes). Intuitively, we appropriate them; they seem comforting and harmless. Yet, because they are embedded in a brutal history or reality, the materials shift in meaning or function. They install a dual reading that provokes a troubling movement, oscillating between comfort and suffocation, escape and confinement, survival and abandonment. With a deceptively soft touch, the artist captures us and plunges us into a narrative fed by deprivation, violence, domination, suppression, and imprisonment.

The works rooted in the prison universe conceal a set of reflections not only on the control of bodies, systems of surveillance and oppression, but also on a state of resistance through imagination, which knows no walls or borders. »

Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit, 2018
Tas de galets blancs dont 10 gravés et dorés à la feuille d’or
80 x 80 x 20 cm
Collection privée

Salut au drapeau, 2018
Mousselines de soie, 65 x 60 cm

Vingt sept août mille neuf cent trente quatre, 2018
Cordes de chanvre teintes avec des plantes aux couleurs des fougères
Dimensions variables
et
Série de 3 aquarelles sur papier vélin
50,5 x 35 cm