20 Oct 2020
Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit – Corpus 2020 / 2021
Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit, 2020
Ronce dorée à la feuille d’or 41 x 8 x 1,5 cm
Collection Zaza Jabre, Liban
Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit, 2021
Robinier (faux acacia) et feuille d’or
220 x 50 x 20 cm
Production La Graineterie avec le soutien des Amis du National Museum of Women in the Arts
Réalisation ébénisterie Camille Mollicone
Laure Tixier s’intéresse, à travers l’architecture, aux angles morts de l’histoire, particulièrement aux non-dits, de l’univers carcéral, l’un de ses sujets de prédilection. Si elles n’apparaissent pas systématiquement dans ses créations, l’artiste travaille presque toujours à partir d’archives. Ses différents corpus d’œuvres sont, chacun à leur manière, des espaces de résistance. En donnant à voir ce qui fait communauté, ils élaborent une contre-histoire de la modernité.
L’intérêt de Laure Tixier pour l’organisation de l’espace collectif et l’univers de l’enfance, l’a conduite à s’intéresser aux colonies pénitentiaires agricoles et maritimes. A Belle-Île-en-Mer (Morbihan), où l’île est elle-même une prison, étaient enfermés des enfants entre sept et vingt et un ans. Issus de familles très pauvres, ils étaient coupables d’avoir commis de petits larcins pour se nourrir, ou bien étaient arrêtés pour vagabondage, délit interdit jusqu’en 1958 pour les enfants. Enfin, la loi de correction paternelle pour mécontentement, c’est-à-dire le droit pour un père de faire interner son enfant s’il avait « des sujets de mécontentement » à son égard, était une source non négligeable d’alimentation de ces colonies prisons.
La première colonie pénitentiaire ouvre en 1830, la dernière ferme au début des années 1970. Elles sont pleinement actives entre 1850 et 1950. Elles font partie des impensés de l’histoire, appellent encore aujourd’hui à une forme de déni. C’est à l’un des promoteurs de la Petite Roquette, Charles Lucas, que l’on doit la première colonie de ce genre, celle de Val d’Yèvre, près de Bourges. La Petite Roquette, premier établissement à différencier les adultes des mineurs, était une prison pour enfants, dont les conditions de détention particulièrement difficiles, ont amené à penser ces colonies. Elles avaient pour but de faire communauté par le travail à la campagne.
Une échelle exécutée en robinier (faux acacia) dont l’artiste a pris soin de garder les épines qu’elle dore à la feuille d’or, prend pour titre un vers de Jean Genet tiré du poème « Le condamné à mort ». Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit est un élément autonome de ce récit fragmenté.
Cette échelle impraticable semble pousser du sol de l’architecture qui l’expose pour tenter d’en atteindre le toit. De tuteur pour redresser ou faire pousser droit, elle devient par ses excroissances horizontales entre ses deux tiges verticales, un élan vers une possible évasion, au moins celle de l’imagination.
Laure Tixier raconte des histoires intimes qu’elle imagine à partir d’éléments glanés dans les archives. Elle redonne ainsi un peu d’humanité à des groupes sociaux qui en ont été privés, corrigeant l’histoire pour mieux la rééquilibrer. L’artiste compose une fable qui ménage des espaces de résistances comme autant de possibles à l’esquive, l’échappatoire. Il se peut alors que l’on s’évade en passant par le toit.
Extraits du texte Laure Tixier, une poétique de l’enfermement de Guillaume Lasserre
Laure Tixier, through architecture, explores the blind spots of history, particularly the unspoken aspects of the prison system, one of her favored subjects. Although not always directly present in her creations, the artist almost always works with archives. Each of her bodies of work, in its own way, represents a space of resistance. By revealing what constitutes a community, they construct a counter-narrative to modernity.
Laure Tixier’s interest in the organization of collective space and the world of childhood led her to focus on agricultural and maritime penal colonies. In Belle-Île-en-Mer (Morbihan), where the island itself served as a prison, children between the ages of seven and twenty-one were incarcerated. These children, often from very poor families, were guilty of minor thefts for survival, or were arrested for vagrancy—an offense for children until 1958. Additionally, the paternal correction law, which allowed fathers to have their children interned if they had ‘grounds for dissatisfaction,’ contributed significantly to the population of these prison colonies.
The first penal colony was opened in 1830, and the last one closed in the early 1970s, with their peak activity between 1850 and 1950. These institutions remain one of the forgotten aspects of history, still met with a degree of denial today. Charles Lucas, a key figure behind the establishment of La Petite Roquette, is credited with founding the first such colony, Val d’Yèvre, near Bourges. La Petite Roquette, the first facility to separate adults from minors, was a prison for children. The harsh conditions there led to the idea of penal colonies, aimed at creating a community through work in rural areas.
An acacia (false acacia) ladder, with its thorns carefully preserved and gilded with gold leaf by the artist, is titled after a line from Jean Genet’s poem ‘The Man Condemned to Death’: Perhaps one escapes through the roof. This impractical ladder is an autonomous element of this fragmented narrative. It seems to grow from the architecture that displays it, reaching toward the roof. Once a support to straighten or guide growth, it transforms, through its horizontal protrusions between two vertical stems, into a symbol of a possible escape, at least one of the imagination.
Laure Tixier tells intimate stories that she imagines from elements gathered in the archives. In doing so, she restores some humanity to social groups that were deprived of it, correcting history to bring balance. The artist crafts a fable that creates spaces of resistance, offering as many opportunities for evasion and escape. In this way, perhaps one escapes through the roof.
Extracts from Guillaume Lasserre’s text Laure Tixier, une poétique de l’enfermement
8 Sep 2024
Foyer – 2022
Projet pour la biennale d’architecture du Frac Centre-Val de Loire, Vierzon en 2022
Infinie liberté, un monde pour une démocratie féministe
Commissariat de Nabila Metair, Marine Pichon et Abdelkader Damani
Production Frac Centre – Val de Loire et Guillaume Dronne
Collection Frac Centre – Val de Loire, en dépôt à Vierzon
Foyer : lieu où l’on fait le feu et le feu lui-même ; lieu où habite la famille et la famille elle-même ; local servant de lieu de réunion à des personnes de même catégorie; centre actif à partir duquel se répand une agitation.
Mes recherches sur l’histoire de Vierzon révèlent un déficit de récits sur les femmes d’un territoire où l’histoire est pourtant faite par le bas à travers celle des ouvriers.
Comme ailleurs, les femmes ont pourtant existé.
Autant qu’ailleurs, elles ont travaillé.
Si les archives, les publications, le patrimoine, mettent en avant les forges, fonderies, verreries, ateliers de céramique et de production de matériel agricole, l’histoire de la confection est peu relayée. Pour y remédier, le musée a ouvert un espace dédié à ces savoir-faire textiles dans ses collections à la suite du travail de la sociologue Céline Assegond pour Mémoviv.
Les femmes cousaient, brodaient chez elles, dispersées, isolées, enfermées entre travail domestique et travail à la pièce distribué de maison en maison. Communauté invisible et impossible, ces ouvrières hautement qualifiées qui fournissaient notamment les grands magasins parisiens n’ont pu se fédérer.
Contrairement à tous les autres secteurs, aucun mouvement social dans l’industrie éparpillée de la confection n’est répertorié.
Imaginer pour elles un geste de révolte.
Les faire sortir de leur maison, converger vers la gare, se retrouver dans le jardin La Française au-dessus du musée en surplomb des forges du B3, y déposer leur outil de travail, planter leurs aiguilles les unes contre les autres en signe de protestation. Ce geste de refus construit un espace pour des négociations.
Des espaces d’urgence, elles en ont réalisé d’autres : entre 1914 et 1918, les Vierzonnaises cousaient des tentes dans l’un des dix entrepôts français d’habillement pour soldats dans le Grand Pavillon de la société La Française, place de la Gare.
Formuler ainsi la mise en ombre du travail des femmes en créant dans l’espace public une sculpture qui est, à la fois, un monument rendant visible cet effacement et une microarchitecture faisant écho à la hutte primitive ou premier feu, abritant aujourd’hui de nécessaires échanges sur l’égalité entre les hommes et les femmes.
Ni faucille, ni marteau, ni hache de guerre, mais des aiguilles.
Mi-femme, mi-homme par ses extrémités, l’aiguille est l’instrument de l’éducation des jeunes filles dans les contes. Qu’elle assemble, habille, reprise, répare ou soigne, l’aiguille à chas est un des rares outils standardisés depuis 45 000 ans.
Foyer : a place where fire is made and the fire itself; a place where the family lives and the family itself; a space serving as a meeting place for people of the same category; an active center from which agitation spreads.
My research on the history of Vierzon reveals a lack of narratives about the women of a territory where history has nonetheless been written from the bottom up, through the stories of workers.
Yet, like everywhere else, women existed.
As much as anywhere else, they worked.
While archives, publications, and heritage highlight the forges, foundries, glassworks, ceramic workshops, and agricultural equipment production, the history of the garment industry is rarely mentioned. To address this, the museum opened a space dedicated to these textile crafts in its collections, following the work of sociologist Céline Assegond for Mémoviv.
Women sewed and embroidered at home, scattered, isolated, confined between domestic work and piecework distributed from house to house. An invisible and impossible community, these highly skilled workers, who notably supplied major Parisian department stores, were unable to unite.
Unlike other sectors, no social movement in the scattered garment industry is recorded.
Imagine for them an act of revolt.
Envision them leaving their homes, converging at the train station, gathering in the La Française garden above the museum, overlooking the B3 forges, where they lay down their tools, planting their needles against one another in protest.
This act of refusal creates a space for negotiation.
They created other emergency spaces: between 1914 and 1918, the women of Vierzon sewed tents in one of France’s ten military clothing depots, located in the Grand Pavillon of the La Française company, near the train station.
Thus, the marginalization of women’s labor is articulated by creating a public sculpture that is both a monument making this erasure visible and a microarchitecture that echoes the primitive hut or first fire, now serving as a shelter for necessary discussions on gender equality.
Neither a sickle, nor a hammer, nor a battle axe, but needles.
Half-woman, half-man by its ends, the needle is the instrument of young girls’ education in fairy tales. Whether it assembles, dresses, mends, repairs, or heals, the eye needle is one of the few tools that has been standardized for 45,000 years.