17 Sep 2014
Résidence
1 Juil 2013
Veduta
Veduta, Laumière, Paris 19e
Résidence Reg’Art de Paris
119 rue de Crimée 75019 et 11 passage Saint-Jules 75018 sont deux adresses auxquelles j’ai vécu et je vis à Paris.
A la suite de la résidence de Claude Lévêque à l’école Budin en 2012, l’association Reg’Art de Paris m’a invité en résidence dans une école élémentaire parisienne, j’ai proposé l’école de mon quartier (l’école Belliard) et par le plus grand des hasards, l’association m’a proposé en même temps l’école de mon ancien quartier (l’école Pierre Girard). Le projet a tenu compte de cette coïncidence pour cette double résidence dans les 18e et 19e arrondissements.
Veduta est le titre des expositions et des œuvres produites dans le cadre de cette résidence. Veduta, c’est le regard des artistes qui se tourne vers l’urbain, un genre pictural dans lequel la ville devient le sujet à part entière des peintres vénitiens au XVIIIème siècle.
Notre regard, celui des enfants et le mien, s’est concentré sur les deux quartiers pour en réaliser deux sculptures maquettes.
Veduta, Moskova, Paris 18e
Pour commencer, nous nous sommes basés sur un plan dessiné des deux arrondissements. Chacun des enfants a repéré son immeuble sur le plan du quartier et cela nous a permis de délimiter notre champ de travail. Je souhaitais donner à ce projet une approche affective, sensorielle et tactile du territoire, puisque ces deux quartiers restent les miens et sont ceux des enfants, et que nous avons d’eux une connaissance intime et sentimentale.
J’ai imaginé ces deux maquettes de quartier en tant qu’espaces transitionnels, tels que l’a définit le pédiatre, psychiatre et psychanalyste anglais Donald Woods Winnicott : un sas entre soi et la réalité pour chacun des participants, moi y-compris, une aire de repos et de questionnement.
La forme du doudou, de l’objet transitionnel, était donc évidente. Quasiment un objet magique, il est pour beaucoup de très jeunes enfants le premier objet qui occupe cet espace transitionnel. Construction rassurante pour accepter la séparation progressive d’avec la mère, il permet de retrouver la sécurité et la familiarité du connu pour mieux affronter l’inconnu.
Les deux maquettes sont des objets transitionnels dans leur individualité (immeuble-doudou de chaque enfant) et dans leur globalité (le quartier unifié par le tapis-plan).
Ce projet propose un double va-et-vient permanent, une sorte de continuum entre soi et la réalité et entre l’individu et la collectivité.
Les enfants ayant vécu l’expérience de la construction de cette maquette garderont, je l’espère, une image intime et rassurante de leur quartier. Peut-être pourront-ils transposer cette construction mentale vers tous les quartiers dans lesquels ils vivront? J’aimerais surtout que l’image qu’ils ont conçue de celui-ci, leur permette d’être infiniment curieux du reste du monde.
L’utilisation de tissus très divers pour réaliser les immeubles et le plan tapis a très vite donné l’image d’un patchwork, à l’image de ces deux quartiers présentant une grande mixité sociale et des origines.
Le Quilt Art (Patchwork en français) est une technique du souvenir. Les européens migrant en Amérique du Nord, gardaient et reformulaient jusqu’à disparition complète les bouts de tissus (vêtements, linge) ramenés d’Europe. C’était, au-delà d’une économie de moyen, une manière pour eux de garder la mémoire de l’Europe, la préserver par petit bout, la reconstruire, la restructurer indéfiniment par les différents motifs d’assemblage.
L’analogie du patchwork avec la diversité des parcours des familles des enfants des deux quartier est évidente, mais l’analogie avec la ville elle-même opère aussi.
Il est aisé de penser la ville comme un collage, une assemblage de couches successives, réalisant sa propre archéologie, se dotant de sa mémoire au fur et à mesure de sa construction. Paris est un palimpseste à multiple couches de sédimentation.
Voir la ville comme un ouvrage toujours en chantier, sans cesse rapiécé, reprisé, mouvant, réinventé.
Le pari de la maquette était de tenter de faire de ces couches de sédimentation liées à l’histoire du quartier et aux multiples trajectoires de ses habitants, au-delà des chocs et des heurts visuels de chaque univers, un ensemble organique d’une surprenante beauté.
Déroulé du projet :
La construction très technique aura demandé aux enfants beaucoup de concentration et de motivation. Ils s’y sont investit avec un sérieux et une application incroyable :
-repérage sur les deux plans de quartier de leur immeuble.
– à partir de l’empreinte au sol de l’immeuble sur le plan, construction d’une maquette de l’immeuble en papier et scotch.
Pour le passage de la 2D à la 3D, du plan à l’élévation, ils ont dû faire un important effort de vision dans l’espace. Ils ont mis en action les notions déjà vues à l’école de géométrie à plat puis de construction en volume.
Sans oublier, des gestes simples comme tracer, découper, assembler mais aussi s’organiser, faire des repérages, numéroter, bien tout ranger…
-les enfants ont choisi les différents tissus qu’ils souhaitaient assembler, ils les ont touchés, ils ont choisi les différentes matières (velours, cotons, lainages…), les différentes couleurs, les différentes origines (tissus africains, japonais, chinois, créoles…), différents motifs (liberty, unis, écossais…). Leur choix est surtout intuitif mais j’ai attiré leur attention sur l’idée de composition en leur montrant à partir des œuvres de la période marocaine de Matisse, que le fait d’assembler des tissus différents pouvait constituer un geste de peintre.
-à partir du patron en papier, les enfants ont tracé puis découpé le tissu.
-l’étape de couture a nécessité d’apprendre à faire un nœud pour démarrer, un nœud pour finir, un point de couture, d’assembler les bons morceaux, dans le bon sens (envers/endroit).
Point très positif et crucial pour moi, les garçons ne se sont même pas posé la question du genre de cette activité. Aucune réticence, n’a été émise. Juste la peur de ne pas y arriver pour certains enfants.
-Rembourrage et fin de couture, soulagement, satisfaction d’avoir réussi son immeuble-doudou.
-dernière étape, de l’individu au collective :
chaque enfant vient poser son immeuble (œuvre individuelle) sur le tapis plan du quartier et ainsi achever l’œuvre collective.
Les enfants des deux classes font ensuite la médiation de l’exposition.
23 Fév 2013
Résidence
En résidence dans les écoles élémentaires Belliard (Paris 18) et Pierre Girard (Paris 19) – Reg’Art de Paris
Il s’agit d’une expérience unique en son genre que l’association Reg’art de Paris est la première à initier en France.
Après une première expérience réussie qui a permis en 2012 à l’artiste français Claude Lévêque d’installer son laboratoire d’idées dans une école élémentaire de la Goutte d’Or à Paris, l’association propose cette année à Laure Tixier de s’installer dans deux établissements parisiens près desquels elle a résidé.
It’s a unique experience that the association Reg’Art de Paris is the first to introduce in France.
After a first successful experience led in 2012 to the French artist Claude Lévêque that install he’s laboratory of ideas in an elementary school in the Goutte d’Or in Paris, the association offers this year Laure Tixier s’ installed at two sites near Paris where she resided.
31 Déc 2018
Des chemins de grues au chemin de grès – 2018
Projet de Laure Tixer et de Hervé Rousseau dans le cadre des Résidences La Borne
Rucher composé de 17 ruches
Grès engobé et émaillé
Barres
[8 x] 67 x 22 x 27 cm
Tours
[10 x] 67 x 24 x 27 cm
Cuisson au bois
Collection Frac Centre-Val de Loire
Dans le cadre des Résidences La Borne (1) en 2018, Laure Tixier et Hervé Rousseau ont collaboré à un projet de rucher qui met en parallèle deux utopies opposées des années 1950-70 : d’un côté celle des grands ensembles, usines à urbaniser des ruraux, implantées en périphérie des villes, et de l’autre, celle d’un retour à la terre de céramistes venus du monde entier dans ce village isolé, pourvu d’un filon d’argile.
Figures d’oxymore, ces ruches en grès de La Borne tentent de formuler une histoire de la modernité développée à grande échelle par des techniques primitives et archaïques de la céramique. Les colombins et les plaques de terre foulée au pied ont été plaquées à l’intérieur de coffrages en bois assemblées en parallélépipèdes rectangles horizontaux et verticaux. Cuites dans un four à bois pendant six jours, les ruches gardent visibles les gestes de leur réalisation et vibrent sous la contrainte des formes de la tour et de la barre.
En filigrane, se tisse la mise en regard des gestes du céramiste et des gestes architecturaux dont la plus emblématique des techniques de construction des grands ensembles : le chemin de grues (2).
C’est parce que les abeilles, notamment au moment de l’essaim, se questionnent sur où et comment habiter, dans une fascinante discussion autour de cet enjeu crucial pour leur fragile survie, que Laure Tixier et Hervé Rousseau les ont choisies pour interroger notre propre rapport à l’habitat. Selon Thomas Seeley (3), un essaim d’abeilles parvient à une forme d’intelligence collective dans le choix de son domicile : les ouvrières agglutinées autour de la reine, conduisent un processus démocratique de prise de décision (identifier une série d’options distinctes, partager les découvertes en exécutant des danses, conduire un débat et parvenir à un accord à propos du nouvel habitat de l’essaim).
Ce rucher silencieux attend des essaims d’abeilles, ouvrières succédant aux ouvriers, pour qui les grands ensembles ont été pensés.
Aux gestes de la céramique, peuvent, à l’abri, derrière les épais murs de grès, se superposer les délicates alvéoles en cire des abeilles.
(1) Depuis 2013, les Résidences La Borne invitent des artistes de tous horizons à collaborer avec des artistes, céramistes de La Borne (village traditionnel de potiers situé sur la commune d’Henrichemont entre Bourges et Sancerre) dans le but de développer un projet commun de coréalisation d’oeuvres.
(2) Rail posé au sol pour faire avancer les grues entre les centrales à béton installées à proximité du terrain à bâtir et les constructions elles-mêmes de part et d’autre de la voie ferrée. Cette rationalisation de la performance productive avait fini par induire deux formes architecturales, la tour et la barre.
(3) Honeybee democracy, Princeton University Press, 2010
As part of the Résidence La Borne in 2018 (1), Laure Tixier and Hervé Rousseau collaborated on a beekeeping project that draws a parallel between two opposing utopias from the 1950s-70s: on one side, the vision of large housing complexes, urban factories intended to settle rural populations on city outskirts; and on the other, the vision of a return to the land, with ceramicists from all over the world converging in this isolated village, rich with a clay deposit.
As oxymoronic figures, these stoneware beehives from La Borne attempt to express a history of modernity developed on a large scale using primitive and archaic ceramic techniques.
Coiled clay and hand-pounded slabs of earth were pressed inside wooden molds assembled into horizontal and vertical rectangular parallelepipeds. Fired in a wood kiln for six days, the beehives retain visible traces of their creation, vibrating under the constraints of tower and block forms.
Woven through this process is a comparison between the gestures of the ceramicist and architectural movements, notably the most emblematic technique for constructing large housing estates: the crane track (2).
It is because bees, especially during swarming, question where and how to live—engaging in a fascinating discussion on this crucial issue for their fragile survival—that Laure Tixier and Hervé Rousseau chose them to explore our own relationship to dwelling. According to Thomas Seeley (3), a bee swarm achieves a form of collective intelligence in choosing a home: worker bees gathered around the queen lead a democratic decision-making process (identifying a series of distinct options, sharing discoveries through dance, engaging in debate, and finally reaching consensus on the swarm’s new home).
This silent apiary awaits bee swarms—workers succeeding the laborers for whom the housing estates were conceived.
Behind the thick stoneware walls, the delicate wax honeycombs of the bees can overlay the gestures of the ceramicist, protected in their shelter.
(1) Since 2013, the Résidence La Borne have invited artists from diverse backgrounds to collaborate with artists and ceramicists from La Borne (a traditional pottery village located in the commune of Henrichemont, between Bourges and Sancerre), with the aim of developing a common project to co-create works of art.
(2) A rail laid on the ground to move cranes between concrete plants installed near the construction site and the buildings themselves on either side of the railway. This rationalization of productive performance eventually gave rise to two architectural forms: the tower and the block.
(3) Honeybee Democracy, Princeton University Press, 2010