31 Déc 2018
Des chemins de grues au chemin de grès – 2018
Projet de Laure Tixer et de Hervé Rousseau dans le cadre des Résidences La Borne
Rucher composé de 17 ruches
Grès engobé et émaillé
Barres
[8 x] 67 x 22 x 27 cm
Tours
[10 x] 67 x 24 x 27 cm
Cuisson au bois
Collection Frac Centre-Val de Loire
Dans le cadre des Résidences La Borne (1) en 2018, Laure Tixier et Hervé Rousseau ont collaboré à un projet de rucher qui met en parallèle deux utopies opposées des années 1950-70 : d’un côté celle des grands ensembles, usines à urbaniser des ruraux, implantées en périphérie des villes, et de l’autre, celle d’un retour à la terre de céramistes venus du monde entier dans ce village isolé, pourvu d’un filon d’argile.
Figures d’oxymore, ces ruches en grès de La Borne tentent de formuler une histoire de la modernité développée à grande échelle par des techniques primitives et archaïques de la céramique. Les colombins et les plaques de terre foulée au pied ont été plaquées à l’intérieur de coffrages en bois assemblées en parallélépipèdes rectangles horizontaux et verticaux. Cuites dans un four à bois pendant six jours, les ruches gardent visibles les gestes de leur réalisation et vibrent sous la contrainte des formes de la tour et de la barre.
En filigrane, se tisse la mise en regard des gestes du céramiste et des gestes architecturaux dont la plus emblématique des techniques de construction des grands ensembles : le chemin de grues (2).
C’est parce que les abeilles, notamment au moment de l’essaim, se questionnent sur où et comment habiter, dans une fascinante discussion autour de cet enjeu crucial pour leur fragile survie, que Laure Tixier et Hervé Rousseau les ont choisies pour interroger notre propre rapport à l’habitat. Selon Thomas Seeley (3), un essaim d’abeilles parvient à une forme d’intelligence collective dans le choix de son domicile : les ouvrières agglutinées autour de la reine, conduisent un processus démocratique de prise de décision (identifier une série d’options distinctes, partager les découvertes en exécutant des danses, conduire un débat et parvenir à un accord à propos du nouvel habitat de l’essaim).
Ce rucher silencieux attend des essaims d’abeilles, ouvrières succédant aux ouvriers, pour qui les grands ensembles ont été pensés.
Aux gestes de la céramique, peuvent, à l’abri, derrière les épais murs de grès, se superposer les délicates alvéoles en cire des abeilles.
(1) Depuis 2013, les Résidences La Borne invitent des artistes de tous horizons à collaborer avec des artistes, céramistes de La Borne (village traditionnel de potiers situé sur la commune d’Henrichemont entre Bourges et Sancerre) dans le but de développer un projet commun de coréalisation d’oeuvres.
(2) Rail posé au sol pour faire avancer les grues entre les centrales à béton installées à proximité du terrain à bâtir et les constructions elles-mêmes de part et d’autre de la voie ferrée. Cette rationalisation de la performance productive avait fini par induire deux formes architecturales, la tour et la barre.
(3) Honeybee democracy, Princeton University Press, 2010
As part of the Résidence La Borne in 2018 (1), Laure Tixier and Hervé Rousseau collaborated on a beekeeping project that draws a parallel between two opposing utopias from the 1950s-70s: on one side, the vision of large housing complexes, urban factories intended to settle rural populations on city outskirts; and on the other, the vision of a return to the land, with ceramicists from all over the world converging in this isolated village, rich with a clay deposit.
As oxymoronic figures, these stoneware beehives from La Borne attempt to express a history of modernity developed on a large scale using primitive and archaic ceramic techniques.
Coiled clay and hand-pounded slabs of earth were pressed inside wooden molds assembled into horizontal and vertical rectangular parallelepipeds. Fired in a wood kiln for six days, the beehives retain visible traces of their creation, vibrating under the constraints of tower and block forms.
Woven through this process is a comparison between the gestures of the ceramicist and architectural movements, notably the most emblematic technique for constructing large housing estates: the crane track (2).
It is because bees, especially during swarming, question where and how to live—engaging in a fascinating discussion on this crucial issue for their fragile survival—that Laure Tixier and Hervé Rousseau chose them to explore our own relationship to dwelling. According to Thomas Seeley (3), a bee swarm achieves a form of collective intelligence in choosing a home: worker bees gathered around the queen lead a democratic decision-making process (identifying a series of distinct options, sharing discoveries through dance, engaging in debate, and finally reaching consensus on the swarm’s new home).
This silent apiary awaits bee swarms—workers succeeding the laborers for whom the housing estates were conceived.
Behind the thick stoneware walls, the delicate wax honeycombs of the bees can overlay the gestures of the ceramicist, protected in their shelter.
(1) Since 2013, the Résidence La Borne have invited artists from diverse backgrounds to collaborate with artists and ceramicists from La Borne (a traditional pottery village located in the commune of Henrichemont, between Bourges and Sancerre), with the aim of developing a common project to co-create works of art.
(2) A rail laid on the ground to move cranes between concrete plants installed near the construction site and the buildings themselves on either side of the railway. This rationalization of productive performance eventually gave rise to two architectural forms: the tower and the block.
(3) Honeybee Democracy, Princeton University Press, 2010
8 Sep 2024
Foyer – 2022
Projet pour la biennale d’architecture du Frac Centre-Val de Loire, Vierzon en 2022
Infinie liberté, un monde pour une démocratie féministe
Commissariat de Nabila Metair, Marine Pichon et Abdelkader Damani
Production Frac Centre – Val de Loire et Guillaume Dronne
Collection Frac Centre – Val de Loire, en dépôt à Vierzon
Foyer : lieu où l’on fait le feu et le feu lui-même ; lieu où habite la famille et la famille elle-même ; local servant de lieu de réunion à des personnes de même catégorie; centre actif à partir duquel se répand une agitation.
Mes recherches sur l’histoire de Vierzon révèlent un déficit de récits sur les femmes d’un territoire où l’histoire est pourtant faite par le bas à travers celle des ouvriers.
Comme ailleurs, les femmes ont pourtant existé.
Autant qu’ailleurs, elles ont travaillé.
Si les archives, les publications, le patrimoine, mettent en avant les forges, fonderies, verreries, ateliers de céramique et de production de matériel agricole, l’histoire de la confection est peu relayée. Pour y remédier, le musée a ouvert un espace dédié à ces savoir-faire textiles dans ses collections à la suite du travail de la sociologue Céline Assegond pour Mémoviv.
Les femmes cousaient, brodaient chez elles, dispersées, isolées, enfermées entre travail domestique et travail à la pièce distribué de maison en maison. Communauté invisible et impossible, ces ouvrières hautement qualifiées qui fournissaient notamment les grands magasins parisiens n’ont pu se fédérer.
Contrairement à tous les autres secteurs, aucun mouvement social dans l’industrie éparpillée de la confection n’est répertorié.
Imaginer pour elles un geste de révolte.
Les faire sortir de leur maison, converger vers la gare, se retrouver dans le jardin La Française au-dessus du musée en surplomb des forges du B3, y déposer leur outil de travail, planter leurs aiguilles les unes contre les autres en signe de protestation. Ce geste de refus construit un espace pour des négociations.
Des espaces d’urgence, elles en ont réalisé d’autres : entre 1914 et 1918, les Vierzonnaises cousaient des tentes dans l’un des dix entrepôts français d’habillement pour soldats dans le Grand Pavillon de la société La Française, place de la Gare.
Formuler ainsi la mise en ombre du travail des femmes en créant dans l’espace public une sculpture qui est, à la fois, un monument rendant visible cet effacement et une microarchitecture faisant écho à la hutte primitive ou premier feu, abritant aujourd’hui de nécessaires échanges sur l’égalité entre les hommes et les femmes.
Ni faucille, ni marteau, ni hache de guerre, mais des aiguilles.
Mi-femme, mi-homme par ses extrémités, l’aiguille est l’instrument de l’éducation des jeunes filles dans les contes. Qu’elle assemble, habille, reprise, répare ou soigne, l’aiguille à chas est un des rares outils standardisés depuis 45 000 ans.
Foyer : a place where fire is made and the fire itself; a place where the family lives and the family itself; a space serving as a meeting place for people of the same category; an active center from which agitation spreads.
My research on the history of Vierzon reveals a lack of narratives about the women of a territory where history has nonetheless been written from the bottom up, through the stories of workers.
Yet, like everywhere else, women existed.
As much as anywhere else, they worked.
While archives, publications, and heritage highlight the forges, foundries, glassworks, ceramic workshops, and agricultural equipment production, the history of the garment industry is rarely mentioned. To address this, the museum opened a space dedicated to these textile crafts in its collections, following the work of sociologist Céline Assegond for Mémoviv.
Women sewed and embroidered at home, scattered, isolated, confined between domestic work and piecework distributed from house to house. An invisible and impossible community, these highly skilled workers, who notably supplied major Parisian department stores, were unable to unite.
Unlike other sectors, no social movement in the scattered garment industry is recorded.
Imagine for them an act of revolt.
Envision them leaving their homes, converging at the train station, gathering in the La Française garden above the museum, overlooking the B3 forges, where they lay down their tools, planting their needles against one another in protest.
This act of refusal creates a space for negotiation.
They created other emergency spaces: between 1914 and 1918, the women of Vierzon sewed tents in one of France’s ten military clothing depots, located in the Grand Pavillon of the La Française company, near the train station.
Thus, the marginalization of women’s labor is articulated by creating a public sculpture that is both a monument making this erasure visible and a microarchitecture that echoes the primitive hut or first fire, now serving as a shelter for necessary discussions on gender equality.
Neither a sickle, nor a hammer, nor a battle axe, but needles.
Half-woman, half-man by its ends, the needle is the instrument of young girls’ education in fairy tales. Whether it assembles, dresses, mends, repairs, or heals, the eye needle is one of the few tools that has been standardized for 45,000 years.