Formes collectives 2015-2017

 

Val Fourré, Chêne Pointu, Noyer Renard, Chantepie…, cette énumération de noms faisant référence à la faune et à la flore, évoquant des paysages champêtres, est en réalité un inventaire de noms de grands ensembles, des assemblages de barres et de tours d’habitation, regroupant au minimum 800 logements soit 4 000 personnes, construits en France entre 1955 et 1975.
Malgré leur sonorité pastorale, ces toponymes symbolisent tous les maux des villes contemporaines et cristallisent tous les problèmes sociaux. Ces noms s’effacent le plus souvent derrière les qualificatifs de quartier sensible, cité, banlieue, zone urbaine prioritaire, no go zone…
À partir d’une résidence au Val Fourré (Mantes-la-Jolie), de projets au Noyer Renard (Athis-Mons) et à Grand Vaux (Savigny-sur-Orge), réactivant les souvenirs d’une enfance passée à la Fontaine du Bac (Clermont-Ferrand), Laure Tixier revient sur la courte histoire de ces grands ensembles, de l’utopie de la modernité qu’ils ont tenté d’être au ghetto devenu leur réalité médiatique sans oublier le paysage rural qui les a précédés.
À travers le prisme des abeilles, elle interroge la manière dont nous décidons (ou dont on décide pour nous) de vivre ensemble, par quels processus, à travers quels systèmes, dans quelles formes mais aussi dans quel rapport au paysage.
Formes collectives se déploie en aquarelle, céramique, installation, vidéo, en autant d’oxymores construits en opposition entre la modernité (et sa disqualification) et la préciosité, la minutie avec lesquels ces matériaux sont employés.
La série Les essaims, composée de trois aquarelles, propose un chemin du logement collectif, du modernisme d’avant guerre aux grands ensembles.
Ce qui semble, de loin, être des formes géométriques, se transforme, lorsque l’on s’approche, en nuages vibrants d’une multitude d’abeilles. Ces essaims ont ici adopté successivement la forme de l’immeuble des Amiraux d’Henri Sauvage (Paris 18e arrondissement, 1922), de la Cité Radieuse de Le Corbusier (Marseille, 1952), et d’une des tours Degas de Raymond Lopez au Val Fourré (Mantes-la-Jolie, 1972).
Aux essaims, viennent s’ajouter Les ruchers composés des ruches-maquettes de ces trois bâtiments.
Réalisée en bois avec des cadres standards, la ruche-maquette de la tour Degas du Val Fourré détruite par implosion en 2006, est habitable par les abeilles. Ces possibles ouvrières succèdent aux ouvriers des usines Renault pour qui ce grand ensemble, l’un des plus grands construit en France, a été pensé.
Le travail avec les habitants du quartier, commencé en 2014 par Laure Tixier avec la série de broderies Radar au fil du temps (présentée en 2016 dans l’exposition « Unravelled » au Beirut Art Center), lui a permis de rassembler des récits pointant le mélange aigu de traumatisme et de soulagement qu’ont été les destructions de tours lors de la rénovation urbaine dix ans plus tôt. Si des perspectives ont pu apparaître dans ce quartier clos sur lui-même, des pans de vie ont été pulvérisés en quelques secondes, en direct des journaux télévisés.
Plus loin, un ensemble de deux ruches en faïence rappelle les débuts de l’histoire de l’apiculture où l’homme s’est emparé d’un essaim pour le glisser dans une poterie. La poterie n’est plus ici ovoïde mais emprunte le vocabulaire de ces grands ensembles, la tour et la barre, le rectangle debout et le rectangle couché.

Val Fourré, Chêne Pointu, Noyer Renard, Chantepie…, these names that refer to fauna and ora or evoke pastoral landscapes, are actually the names of a number of large housing projects, assemblies of blocks and towers gathering a minimum of 800 housings, that is 4 000 individuals — according to the philosopher Thierry Paquot—, built between 1955 and 1975 in France.
These toponyms with a bucolic sound symbolize the ills of contemporary cities and focus on their social issues. Most often, the estates are no more referred to by their actual names but are quali ed as: sensitive neighbourhoods, suburbs, urban priority zone, no go zone…
Inspired by a residency at the Val Fourré (Mantes-la-Jolie*), projects at Noyer Renard (Athis-Mons*) and Grand Vaux (Savigny-sur-Orge*), reviving memories of her childhood at Fontaine du Bac (Clermont-Ferrand), Laure Tixier tells the short history of these projects: originally rural landscapes, they were meant to glorify the idea of modernity and all they became is nothing but modern ghettos.
In the light of bees’ modus vivendi, Tixier studies how we decide (or how one decides for us) to live together, via which processes, through which systems, in what form and through which relationship with the landscape.
Formes collectives’ topics are illustrated by watercolours, ceramics, installation, video; as many oxymorons opposing modernity (and its disquali cation) and the preciosity/the meticulous use of these materials.
The three watercolours of the series Les essaims (The swarms), are about the distance covered between modernist pre-World II collective housing (more speci cally social housing), and further gigantic housing estates. Seen from a distance, what seem to be geometric shapes become, when you get closer, vibrant clouds made of millions of bees. These swarms have successively taken the form of Henri Sauvage’s Immeuble des Amiraux (Paris, 1922), of Le Corbusier’s Cité Radieuse (Marseille, 1952), and one of Raymond Lopez’ Tours Degas at the Val Fourré (Mantes-la-Jolie, 1972).
Les ruchers (The apiaries) made of model beehives of the three buildings stand next to The swarms. Made of wood with standard frames, the mock-up of the Tour Degas, destroyed in 2006 by implosion, is habitable by bees. Those potential workers come after the Renault factories workers for whom one of France’s biggest housing projects was designed and built.
Laure Tixier’s work with inhabitants of the estates, started in 2014 with the series of embroideries Radar au l du temps (presented in 2016 in the exhibition « Unravelled » at the Beirut Art Center), gave her the opportunity to highlight their trauma and relief that were the destruction of the towers ten years earlier during the urban renovation. Entire parts of private lives were pulverised in a few seconds and broadcasted live on TV.
Further, two earthenware beehives are a reminder of the early days of apiculture, when a human being caught a swarm of bees and slid it into an earthenware. Here, the earthenware is no longer egg-shaped but makes use of the vocabulary of housing projects: the tower and the block, a vertical rectangle and a horizontal one.
*Located on the outskirts of Paris