Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit, 2020 Ronce dorée à la feuille d’or 41 x 8 x 1,5 cm Collection Zaza Jabre, Liban
Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit, 2021 Robinier (faux acacia) et feuille d’or 220 x 50 x 20 cm Production La Graineterie avec le soutien des Amis du National Museum of Women in the Arts Réalisation ébénisterie Camille Mollicone
Laure Tixier s’intéresse, à travers l’architecture, aux angles morts de l’histoire, particulièrement aux non-dits, de l’univers carcéral, l’un de ses sujets de prédilection. Si elles n’apparaissent pas systématiquement dans ses créations, l’artiste travaille presque toujours à partir d’archives. Ses différents corpus d’œuvres sont, chacun à leur manière, des espaces de résistance. En donnant à voir ce qui fait communauté, ils élaborent une contre-histoire de la modernité. L’intérêt de Laure Tixier pour l’organisation de l’espace collectif et l’univers de l’enfance, l’a conduite à s’intéresser aux colonies pénitentiaires agricoles et maritimes. A Belle-Île-en-Mer (Morbihan), où l’île est elle-même une prison, étaient enfermés des enfants entre sept et vingt et un ans. Issus de familles très pauvres, ils étaient coupables d’avoir commis de petits larcins pour se nourrir, ou bien étaient arrêtés pour vagabondage, délit interdit jusqu’en 1958 pour les enfants. Enfin, la loi de correction paternelle pour mécontentement, c’est-à-dire le droit pour un père de faire interner son enfant s’il avait « des sujets de mécontentement » à son égard, était une source non négligeable d’alimentation de ces colonies prisons. La première colonie pénitentiaire ouvre en 1830, la dernière ferme au début des années 1970. Elles sont pleinement actives entre 1850 et 1950. Elles font partie des impensés de l’histoire, appellent encore aujourd’hui à une forme de déni. C’est à l’un des promoteurs de la Petite Roquette, Charles Lucas, que l’on doit la première colonie de ce genre, celle de Val d’Yèvre, près de Bourges. La Petite Roquette, premier établissement à différencier les adultes des mineurs, était une prison pour enfants, dont les conditions de détention particulièrement difficiles, ont amené à penser ces colonies. Elles avaient pour but de faire communauté par le travail à la campagne. Une échelle exécutée en robinier (faux acacia) dont l’artiste a pris soin de garder les épines qu’elle dore à la feuille d’or, prend pour titre un vers de Jean Genet tiré du poème « Le condamné à mort ». Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit est un élément autonome de ce récit fragmenté. Cette échelle impraticable semble pousser du sol de l’architecture qui l’expose pour tenter d’en atteindre le toit. De tuteur pour redresser ou faire pousser droit, elle devient par ses excroissances horizontales entre ses deux tiges verticales, un élan vers une possible évasion, au moins celle de l’imagination. Laure Tixier raconte des histoires intimes qu’elle imagine à partir d’éléments glanés dans les archives. Elle redonne ainsi un peu d’humanité à des groupes sociaux qui en ont été privés, corrigeant l’histoire pour mieux la rééquilibrer. L’artiste compose une fable qui ménage des espaces de résistances comme autant de possibles à l’esquive, l’échappatoire. Il se peut alors que l’on s’évade en passant par le toit.
Laure Tixier, through architecture, explores the blind spots of history, particularly the unspoken aspects of the prison system, one of her favored subjects. Although not always directly present in her creations, the artist almost always works with archives. Each of her bodies of work, in its own way, represents a space of resistance. By revealing what constitutes a community, they construct a counter-narrative to modernity. Laure Tixier’s interest in the organization of collective space and the world of childhood led her to focus on agricultural and maritime penal colonies. In Belle-Île-en-Mer (Morbihan), where the island itself served as a prison, children between the ages of seven and twenty-one were incarcerated. These children, often from very poor families, were guilty of minor thefts for survival, or were arrested for vagrancy—an offense for children until 1958. Additionally, the paternal correction law, which allowed fathers to have their children interned if they had ‘grounds for dissatisfaction,’ contributed significantly to the population of these prison colonies. The first penal colony was opened in 1830, and the last one closed in the early 1970s, with their peak activity between 1850 and 1950. These institutions remain one of the forgotten aspects of history, still met with a degree of denial today. Charles Lucas, a key figure behind the establishment of La Petite Roquette, is credited with founding the first such colony, Val d’Yèvre, near Bourges. La Petite Roquette, the first facility to separate adults from minors, was a prison for children. The harsh conditions there led to the idea of penal colonies, aimed at creating a community through work in rural areas. An acacia (false acacia) ladder, with its thorns carefully preserved and gilded with gold leaf by the artist, is titled after a line from Jean Genet’s poem ‘The Man Condemned to Death’: Perhaps one escapes through the roof. This impractical ladder is an autonomous element of this fragmented narrative. It seems to grow from the architecture that displays it, reaching toward the roof. Once a support to straighten or guide growth, it transforms, through its horizontal protrusions between two vertical stems, into a symbol of a possible escape, at least one of the imagination. Laure Tixier tells intimate stories that she imagines from elements gathered in the archives. In doing so, she restores some humanity to social groups that were deprived of it, correcting history to bring balance. The artist crafts a fable that creates spaces of resistance, offering as many opportunities for evasion and escape. In this way, perhaps one escapes through the roof.
Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit – Corpus 2020 / 2021
Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit, 2020
Ronce dorée à la feuille d’or 41 x 8 x 1,5 cm
Collection Zaza Jabre, Liban
Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit, 2021
Robinier (faux acacia) et feuille d’or
220 x 50 x 20 cm
Production La Graineterie avec le soutien des Amis du National Museum of Women in the Arts
Réalisation ébénisterie Camille Mollicone
Laure Tixier s’intéresse, à travers l’architecture, aux angles morts de l’histoire, particulièrement aux non-dits, de l’univers carcéral, l’un de ses sujets de prédilection. Si elles n’apparaissent pas systématiquement dans ses créations, l’artiste travaille presque toujours à partir d’archives. Ses différents corpus d’œuvres sont, chacun à leur manière, des espaces de résistance. En donnant à voir ce qui fait communauté, ils élaborent une contre-histoire de la modernité. L’intérêt de Laure Tixier pour l’organisation de l’espace collectif et l’univers de l’enfance, l’a conduite à s’intéresser aux colonies pénitentiaires agricoles et maritimes. A Belle-Île-en-Mer (Morbihan), où l’île est elle-même une prison, étaient enfermés des enfants entre sept et vingt et un ans. Issus de familles très pauvres, ils étaient coupables d’avoir commis de petits larcins pour se nourrir, ou bien étaient arrêtés pour vagabondage, délit interdit jusqu’en 1958 pour les enfants. Enfin, la loi de correction paternelle pour mécontentement, c’est-à-dire le droit pour un père de faire interner son enfant s’il avait « des sujets de mécontentement » à son égard, était une source non négligeable d’alimentation de ces colonies prisons.
La première colonie pénitentiaire ouvre en 1830, la dernière ferme au début des années 1970. Elles sont pleinement actives entre 1850 et 1950. Elles font partie des impensés de l’histoire, appellent encore aujourd’hui à une forme de déni. C’est à l’un des promoteurs de la Petite Roquette, Charles Lucas, que l’on doit la première colonie de ce genre, celle de Val d’Yèvre, près de Bourges. La Petite Roquette, premier établissement à différencier les adultes des mineurs, était une prison pour enfants, dont les conditions de détention particulièrement difficiles, ont amené à penser ces colonies. Elles avaient pour but de faire communauté par le travail à la campagne.
Une échelle exécutée en robinier (faux acacia) dont l’artiste a pris soin de garder les épines qu’elle dore à la feuille d’or, prend pour titre un vers de Jean Genet tiré du poème « Le condamné à mort ». Il se peut qu’on s’évade en passant par le toit est un élément autonome de ce récit fragmenté.
Cette échelle impraticable semble pousser du sol de l’architecture qui l’expose pour tenter d’en atteindre le toit. De tuteur pour redresser ou faire pousser droit, elle devient par ses excroissances horizontales entre ses deux tiges verticales, un élan vers une possible évasion, au moins celle de l’imagination.
Laure Tixier raconte des histoires intimes qu’elle imagine à partir d’éléments glanés dans les archives. Elle redonne ainsi un peu d’humanité à des groupes sociaux qui en ont été privés, corrigeant l’histoire pour mieux la rééquilibrer. L’artiste compose une fable qui ménage des espaces de résistances comme autant de possibles à l’esquive, l’échappatoire. Il se peut alors que l’on s’évade en passant par le toit.
Extraits du texte Laure Tixier, une poétique de l’enfermement de Guillaume Lasserre
Laure Tixier, through architecture, explores the blind spots of history, particularly the unspoken aspects of the prison system, one of her favored subjects. Although not always directly present in her creations, the artist almost always works with archives. Each of her bodies of work, in its own way, represents a space of resistance. By revealing what constitutes a community, they construct a counter-narrative to modernity.
Laure Tixier’s interest in the organization of collective space and the world of childhood led her to focus on agricultural and maritime penal colonies. In Belle-Île-en-Mer (Morbihan), where the island itself served as a prison, children between the ages of seven and twenty-one were incarcerated. These children, often from very poor families, were guilty of minor thefts for survival, or were arrested for vagrancy—an offense for children until 1958. Additionally, the paternal correction law, which allowed fathers to have their children interned if they had ‘grounds for dissatisfaction,’ contributed significantly to the population of these prison colonies.
The first penal colony was opened in 1830, and the last one closed in the early 1970s, with their peak activity between 1850 and 1950. These institutions remain one of the forgotten aspects of history, still met with a degree of denial today. Charles Lucas, a key figure behind the establishment of La Petite Roquette, is credited with founding the first such colony, Val d’Yèvre, near Bourges. La Petite Roquette, the first facility to separate adults from minors, was a prison for children. The harsh conditions there led to the idea of penal colonies, aimed at creating a community through work in rural areas.
An acacia (false acacia) ladder, with its thorns carefully preserved and gilded with gold leaf by the artist, is titled after a line from Jean Genet’s poem ‘The Man Condemned to Death’: Perhaps one escapes through the roof. This impractical ladder is an autonomous element of this fragmented narrative. It seems to grow from the architecture that displays it, reaching toward the roof. Once a support to straighten or guide growth, it transforms, through its horizontal protrusions between two vertical stems, into a symbol of a possible escape, at least one of the imagination.
Laure Tixier tells intimate stories that she imagines from elements gathered in the archives. In doing so, she restores some humanity to social groups that were deprived of it, correcting history to bring balance. The artist crafts a fable that creates spaces of resistance, offering as many opportunities for evasion and escape. In this way, perhaps one escapes through the roof.
Extracts from Guillaume Lasserre’s text Laure Tixier, une poétique de l’enfermement